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« Devenir éleveur, un changement de vie sans regret »

Au centre Pascale Krust, entourée de ses enfants,Hélène, salariée fromagère et Thomas associé.

De retour sur la ferme familiale il y a douze ans, Thomas Krust a su progressivement redresser la situation économique difficile d’un système d’élevage bio, avec une part de transformation fromagère et une race, la jersiaise.

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Son retour sur la ferme familiale en 2013, Thomas Krust ne l’avait pas programmé ni même envisagé. Après une formation en œnologie, il occupait le poste de maître de chai auprès d’un négociant en vin de la région. S’il a finalement rejoint sa mère, Pascale, il y a douze ans, c’est pour succéder à son père à la suite d’un grave problème de santé.

Dès les années 1980, sous l’impulsion de ses parents, l’exploitation était parmi les pionnières de la certification bio et Demeter (biodynamie), avant de prendre le virage de la vente directe, à travers une activité de meunerie en partenariat avec un boulanger de la région, puis avec la création d’un atelier de transformation fromagère à la fin des années 1990. C’est aussi à cette période que la jersiaise remplace la montbéliarde.

À l’arrivée de Thomas, le troupeau compte une vingtaine de vaches, conduites dans une logique très extensive, avec une fromagerie, 50 ha de céréales pour la fabrication de farine à la ferme et même une petite activité maraîchère, dans le cadre d’un marché à la ferme hebdomadaire. Mais la situation économique est très dégradée, avec un niveau d’encours important. « Je pense que le système d’élevage a évolué trop vite et trop loin dans la désinten­sification. Le troupeau en étable entravée produisait à peine 2 000 litres de lait de moyenne, se souvient l’éleveur. Il fallait redresser la situation, sans pour autant remettre en cause la bio qui correspond à ma sensibilité pour la préservation de l’environnement. »

La ration hivernale des laitières se compose de 4 kg de foin + 4 kg de regain + 4 de luzerne + 3 kg de mélange céréalier + 2 kg de son, soit 814 kg de concentré/vache. (© Marie Faggiano pour GFA)
Mise en service en 2017, la stabulation aire paillée est construite au cœur de 40 ha de terres et offre accès aux laitières à 10 ha de pâtures dans un rayon de 500 mètres. (© Marie Faggiano pour GFA)

Dans un premier temps, l’état de santé de son père ne permet pas à Thomas de prendre officiellement sa succession. Qu’à cela ne tienne, il relève le challenge. Et celui-ci est de taille pour le jeune éleveur de 31 ans : « J’ai dû apprendre le métier sur le tas. Mes connaissances en élevage étaient très limitées. J’ai pu compter sur l’entraide et des conseils de mes voisins et je me suis rapproché de trois structures pour m’accompagner : Elitest, Jersiaise France et la chambre d’agriculture. »

« La chance que la banque soutienne mon projet »

D’un point de vue stratégique, la fromagerie et son magasin situés au cœur de la commune, sur la route des vins d’Alsace, sont repris en l’état, avec une gamme diversifiée de fromages et de produits frais. Pascale gère cette activité qui s’appuie sur une clientèle d’habitués : grossistes, restaurateurs, épiceries bio ou encore marché local deux fois par semaine. Elle transmet son savoir-faire à Hélène, sa fille, la sœur de Thomas, revenue la même année que lui sur la ferme. Elle est assistée par une salariée. Le maraîchage est également maintenu, sur 0,5 ha de légumes de plein champ (pomme de terre, poireaux, carottes) et dans une serre de 1 000 m². Il constitue un produit d’appel pour la vente à la ferme des produits laitiers. Thomas va en revanche cesser la culture de céréales dédiée à la fabrication de farine bio à la ferme. La meunerie devient une société annexe, reposant sur l’achat de 300 tonnes de céréales bio par an.

L’allaitement au lait entier prévoit deux repas de 2 litres par jour, pour un sevrage progressif à 4 mois. Les veaux ont à disposition dès le premier jour un mash à volonté (mélange céréalier + son + granulé 1er âge), du foin et de l’eau. Après le sevrage, l’alimentation se compose de 2 kg de mash et de foin à volonté jusqu’à l’IA. La ration hivernale est à base d'enrubannage et de foin Génisses. L’allaitement au lait entier prévoit de deux repas de 2 litres par jour, pour un sevrage progressif à 4 mois. Les veaux ont à disposition dès le premier jour un masch à volonté (mélange céréalier + son + granulé 1er âge), du foin et de l’eau. Après le sevrage, l’alimentation se compose de 2 kg de masch et de foin à volonté jusqu’à l’IA. La ration hivernale est à base d'enrubannage et de foin pour les gestantes confirmées. (© Marie Faggiano pour GFA)
Dans le cadre du schéma de sélection, toutes les génisses sont génotypées et inséminées avec des doses sexées. Après trois échecs, elles sont inséminées avec un taureau angus, comme les moins bonnes souches du troupeau, et les veaux croisés valorisés en caissettes. (© Marie Faggiano pour GFA)

L’arrêt des céréales doit permettre d’augmenter la surface fourragère principale (SFP) et la taille du troupeau, en vue de développer des livraisons de lait en laiterie. Sans attendre, avec les conseillers et techniciens, le plan d’action est lancé et porte sur deux leviers : la qualité des fourrages et la génétique. Thomas revend le matériel de travail du sol pour réinvestir dans des équipements d’élevage : télescopique, autochargeuse, « des outils pour faire du lait ». Deux ans après son retour, il obtient un prêt bancaire de 400 000 € pour la construction ex nihilo d’une stabulation aire paillée de 60 places. « J’ai eu la chance que ma conseillère de la caisse locale du Crédit Agricole soutienne mon projet. » Le bâtiment est mis en service deux ans plus tard (2017), avec une salle de traite 2 x 5 et 40 vaches laitières. Afin de préserver la qualité des fromages, Thomas mise sur un système herbager et une ration sèche à l’auge de type foin-regain, complétée par quelques hectares de mélanges céréaliers battus en grain. Il implante des prairies à base de mélange suisse, travaille sur la mise en œuvre de récoltes précoces et sur le pâturage tournant.

« J’ai vite chopé le virus de la génétique »

La nouvelle stabulation offre aux laitières un accès à 10 ha de pâtures dans un rayon de 500 m. Après un premier cycle de déprimage, les conditions pédoclimatiques autorisent ici une alimentation 100 % pâturée en avril-mai, avant un arrêt de la pousse de l’herbe pouvant parfois intervenir dès le mois de juin. Les vaches sont alors complémentées par de l’affouragement en vert. Puis, selon les années, elles peuvent être nourries à l’auge avec la ration hivernale en juillet-août.

Le Lely A5, mis en route depuis janvier, est un « kit jersiais » adapté à la race. Il est installé sur une fosse sous caillebotis de 100 m3 et une porte de tri gère l'accès au pâturage. (© Marie Faggiano pour GFA)
Hélène et Armelle, aidées de Pascale, fabriquent tous les matins du lundi au vendredi une gamme diversifiée de fromages : des lactiques de type époisse ou camembert, des pâtes pressées non cuites, comme l'édam, mais aussi des fromages frais, des yaourts, des skyrs, du beurre, des faisselles. « Nous travaillons uniquement au lait entier en nous adaptant à la richesse du lait de jersiaise, explique Hélène. Sa richesse en MG implique par exemple de préparer nos ferment liquide pour accélérer l’acidification. Mais pour faire du Skyr (yaourt enrichi en protéines), pas besoin d’ajouter de la poudre de lait. » (© Marie Faggiano pour GFA)

Grâce à son petit gabarit et à des membres solides, la jersiaise permet de prolonger au maximum la saison de pâturage en arrière-saison et en sortie d’hiver sur des sols argilo-calcaires. Dès la reprise en main du troupeau, Thomas n’a pas hésité à investir dans la génétique et les semences sexées pour assurer la croissance du troupeau dans le cadre de plans d’accouplement axés sur la production et les fonctionnels. « J’ai vite chopé le virus de la génétique. Le déclic a eu lieu à l’occasion d’un concours à Épinal. La première prise de contact avec Jersiaise France a ensuite eu lieu au Sommet de l’élevage. Dès lors, avec le technicien BGS, Pierre Gigant, j’ai décidé de travailler des souches “morpho” pour les concours. » Depuis quatre ans, le troupeau a intégré le schéma de sélection de la race. Les génisses sont toutes génotypées et inséminées avec des doses sexées. Thomas profite du redressement progressif de la situation économique pour acheter quelques animaux en partenariat avec un éleveur conventionnel du Bas-Rhin : une génisse en Autriche, fille d’une championne Swiss Expo, une génisse n° 1 des index en France, ou encore une petite génisse, lors d’une vente en ligne BGS, pour faire du show. Ce partenariat permettra de récupérer des descendantes et de jouer le jeu du schéma sélection, mais aussi de profiter d’un marché porteur pour développer la vente de génisses pleines. Parti quasiment de zéro, le troupeau se situe aujourd’hui dans la moyenne de la race, avec des vaches qui vieillissent bien : index de production (équivalent Inel) de 88 points, contre une moyenne nationale de 92 ; une note de pointage de 82,6 vs 83,1 et un rang de lactation de 3,2.

En 2022, Thomas a participé pour la première fois au Sommet de l'élevage. Président de l'association régionale de la race, il s'investit dans les concours régionaux et a entraîné avec lui sa femme Coraline, sa fille et Emma et son fils Bastien déjà mordu d'élevage : " Ces moment sont aussi une façon de passer du temps en famille."

Ainsi, grâce au progrès génétique, d’autant plus pertinent avec une ration limitante, le troupeau a produit 4 525 kg de lait lors de la dernière campagne, avec 814 kg de concentré/vache… Contre une moyenne nationale de 5 085 kg brut. Le semis de 10 ha de luzerne assure désormais l’autonomie fourragère, sur la base d’un chargement de 1,5 UGB/ha de SFP. La mise en route du robot de traite en janvier, un investissement de 200 000 €, doit permettre non seulement de pallier le départ à la retraite de Pascale début 2026, mais aussi de mieux exprimer le potentiel génétique.

« Le robot pour renforcer mon expertise technique »

« Avec le robot, je craignais de perdre le lien avec les vaches. Ce n’est pas le cas, au contraire. Et il faut bien avouer que cela change la vie, surtout l’arrêt de la traite du soir. Le robot doit aussi m’aider à renforcer mon expertise en ciblant mieux la complémentation en début de lactation, mais aussi la reproduction, grâce au monitoring de détection des chaleurs. De plus, son installation sur une fosse sous caillebotis de 100 m3 assure un apport de lisier de nature à booster la productivité des prairies de fauche. L’objectif est de caler le troupeau à 60 vaches et d’aller chercher 2 à 3 litres de lait supplémentaires en intégrant dans la rotation 2 ha de maïs et autant de soja ou de féverole pour réduire les achats d’aliments. »

(© GFA)

Thomas a finalement pu s’installer officiellement en 2020. Il percevra cette année le dernier tiers de sa DJA et envisage un ultime investissement dans un module de séchage de luzerne en bottes. « Les premières années ont été difficiles, mais grâce à la sécurité financière de la meunerie et de la fromagerie, j’ai pu investir dans des installations fonctionnelles et prendre plaisir à travailler. J’ai divisé mon salaire par deux et multiplié mes heures de travail par deux. Mais je ne regrette pas ce changement de vie. Je vois maintenant la progression mois par mois, c’est hypermotivant. J’ai eu la chance d’être soutenue par mon épouse. Son salaire extérieur a aussi été un atout pour notre famille. Car, dans l’intervalle, nous avons eu le bonheur de voir naître nos deux enfants. »

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